L'augmentation attendue des dépenses fédérales en Allemagne pour soutenir la croissance économique est au cœur des attentes des marchés pour les élections à venir alors que le pays est l'un des seuls en Europe disposant d'une marge de manœuvre budgétaire pour mener une telle politique.
Pour l'heure, les investisseurs redoutent que la prochaine coalition gouvernementale allemande ne prenne pas de mesures suffisamment significatives concernant les dépenses et l'endettement malgré une économie stagnante depuis 2019 et une dette inférieure à 100% du produit intérieur brut (PIB), une exception pour un pays du G7.
La règle du "frein à l'endettement" - un dispositif interdisant au gouvernement fédéral d'emprunter plus de 0,35% de son PIB chaque année - est au coeur des enjeux.
Un assouplissement de cette règle est jugé nécessaire par les investisseurs, d'autant plus que la guerre commerciale promise par Donald Trump devrait peser sur l'économie allemande, fortement dépendante des exportations, et alors que l'Allemagne doit augmenter ses dépenses pour la Défense.
"S'il y a un pays où l'on peut réellement, potentiellement (augmenter les emprunts), c'est bien l'Allemagne", affirme Nicola Mai, qui dirige la recherche sur le crédit souverain pour le géant obligataire PIMCO en Europe, qualifiant le frein à l'endettement de "camisole de force".
L'Allemagne pourrait ainsi augmenter ses dépenses pour relancer sa compétitivité, ce qui bénéficierait à l'euro et aux marchés actions européens, même si l'incertitude politique peut peser à court terme.
Pourtant, deux tiers des investisseurs interrogés par Bank of America en janvier ne s'attend qu'à un léger assouplissement du frein à l'endettement, tout comme Nicola Mai qui ne prévoit pas de changement "significatif".
BEAUCOUP A GAGNER
Le dirigeant conservateur Friedrich Merz, qui devrait prendre la tête du prochain gouvernement, s'est montré ouvert à une réforme limitée du frein à l'endettement.
Selon un sondage de Citi mené auprès de ses clients en décembre, les investisseurs considèrent le relèvement de ce plafond à 1% du PIB comme l'issue la plus probable alors même que le rattrapage des sous-investissements de la dernière décennie nécessiterait à lui seul des dépenses annuelles de l'ordre de 1,5% du PIB, selon ING.
Danske Bank estime que la réforme du frein à l'endettement augmentera la croissance d'environ 0,2 point de pourcentage par an dans les années à venir.
Le risque d'une absence totale de réforme est réel si l'Alternative pour l'Allemagne (AFD, extrême droite) et le Parti libéral-démocrate (FDP) obtiennent suffisamment de sièges pour bloquer un changement constitutionnel nécessaire pour modifier le frein à l'endettement.
Toute réforme du frein ou une autre option - le lancement de fonds spéciaux pour augmenter les dépenses en dehors du frein - nécessite une majorité parlementaire des deux tiers.
Le rendement des obligations d'État allemandes à 10 ans a dépassé le taux des swaps de taux d'intérêt pour la première fois l'année dernière DE10IRS10Y=RR , en partie en raison des attentes d'émissions plus importantes après l'effondrement du gouvernement en novembre.
Mais depuis, le taux du Bund à dix ans a peu bougé, signe qu'une hausse des dépenses est perçue comme gérable par les investisseurs.
La question est aussi de savoir si une hausse des dépenses de l'Allemagne suffirait à mettre fin à la sous-performance européenne alors que l'euro EUR=EBS est en baisse de 17% par rapport au pic de 1,25 dollar atteint en 2018, et a frôlé le seuil de la parité plus tôt en février.
Pour Kit Juckes, responsable de la stratégie de change chez Société Générale, les choix politiques européens favorisant une croissance moindre que celle des États-Unis, qui ont dépensé beaucoup plus, ont été l'une des principales raisons de cette chute, l'Allemagne jouant un rôle important à cet égard.
D'après lui, il n'y a pas suffisamment de signes d'un changement de politique pour modifier son objectif de 1,04 euro pour un dollar pour le premier semestre de cette année.
REPRISE ?
Sur les marchés actions, la Bourse de Francfort semble avoir été épargnée, le rendement de 45% du DAX .GDAXI ayant été supérieur à celui des actions américaines au cours des trois dernières années. Pourtant, par rapport aux bénéfices à terme, il se négocie avec une décote de 38% par rapport à l'indice S&P 500.
Stimulée par les bénéfices internationaux, la performance du DAX masque en réalité les difficultés des entreprises plus exposées au marché intérieur. Les actions des sociétés à moyenne capitalisation .MDAX et à petite capitalisation .SDAXI ont ainsi perdu 18% et 2% au cours de cette période. Les constructeurs automobiles, autrefois au cœur de la puissance allemande, ont eux chuté de 35%.
Un nouveau gouvernement allemand pourrait potentiellement conduire à une réévaluation des multiples de valorisation des actions européennes s'il commençait à apaiser les inquiétudes concernant la faible productivité, estime Rameez Sadikot, gestionnaire de portefeuille chez Antipodes Partners.
Pour l'heure, le gérant se dit "prudemment optimiste".
(Rédigé par Yoruk Bahceli et Samuel Indyk à Londres et Emma-Victoria Farr à Francfort ; version française Bertrand De Meyer, édité par Blandine Hénault)
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